Texte et photos:
Claude Bousquet

Note:
Premièrement apparu dans le magazine Saumon Illimité "Hiver 2001,"

"Techniques de pêche à la "Mouche Tube"

Il y a une dizaine d'année alors que je faisais encore mes classes à la pêche au saumon, j'ai eu la chance de me trouver sur une des plus belles rivières de la Gaspésie en compagnie de Mme. Maltais. Après plusieurs jours de pluie, la rivière était très haute et la Petite Cascapédia regorgeait de saumons. Je ne me doutais pas que ce qui allait ce passer ce jour-là changerais à jamais ma façon de pêcher le saumon.
Etant donnée les conditions, j'avais décidé d'utiler un streamer orange et gris et três efficace dans des conditions similaires dans les rivières de l'État de New York où je pêchais la ouananiche. Cette mouche était montée sur une hameçon Carry Stevens 1/0. Eh bien croyez-le ou non, Hazel et moi avons piqué ce jour-là une bonne dizaine de saumons avec cette mouche avant de réussir de peine et de misère à en garder deux petits. Lorsqu'on connait l'expertise de Mme. Maltais, j'en conclus que l'hameçon était le grand responsdable de notre déconvenue.

L'effet de levier


Quelques jours après cette journée frustrante mais mémorable, je me suis mis à fouiller dans les livres de pêche au saumon. J'ai eu la chance de tomber sur l'excellent livre de Richard Waddington. Ce célèbre pêcheur écossais expliquait que la raison principale de la perte de nombreux saumons était l'effet de levier créé par la longueur de la hampe de l'hameçon. Ce grand spécialiste en était venu à la conclusion que les streamers devaient être montés sur des hameçons articulés. Le corps de la mouche serait ainsi monté sur la partie avant de l'ensemble alors qu'un hameçon à trois branches serait accroché derrière. Il décide donc de mettre au point le Waddington shank. On peut retrouver ce montage dans le livre de Paul Jorgensen sur les mouches à saumon. Le seul problème, c'est qu'en Écosse on commence à pêcher en février avec des cannes à deux mains qui permettent de balancer des engins de plus de deux grammes à des distances impressionnantes. Cette pêche n'a rien à voir avec celle qu'on pratique au Québec, bien que les Waddington soient utilisés en début de saison dans certaines rivières de Gaspésie. Un autre inconvénient important, c'est que ces mouches ne peuvent être munies que d'un hameçon à trois branches, ce qui n'est pas très pratique pour la remise à l'eau.

Les avantages de la mouche tube


La mouche tube, tout en conservant les avantages des Waddington, est beaucoup plus polyvalente. Elle permet en effet de varier la longueur, le poids et le genre d'hameçon utilisé. Le pêcheur peut ainsi s'adapter à toutes les conditions de pêche. Outre l'atténuation de "l'effet de levier, l'utilisation de ces mouches comporte d'autres avantages notables. Étant donné que l'avançon pénètre dans le tube, le nœud est bien protégé et il n'y a aucune charnière (nœud) entre l'avançon et la tête de la mouche. La mouche est donc toujours parfaitement dans l'axe de l'avançon. Plus de tirettes causées par le fait que l'aile du streamer se sépare du corps de la mouche lorsque la courbe de l'hameçon l'entraîne vers le fond ou encore parce que la quille de l'hameçon n'est pas assez lourde et que le streamer se retrouve à plat lorsqu'on reprend de la ligne. On peut enfin varier le poids de la mouche à volonté puisque le montage se fait avec un tube de plastique dans lequel on insère un tube de laiton. Vous n'avez qu'à varier la longueur du tube de laiton pour obtenir des mouches lourdes ou légères de longueurs identiques. Vous pouvez donc pêcher avec des mouches de trois pouces que vous pourrez lancer adéquatement avec une canne à une main n° 8 ou n° 9.

Le montage des mouches tubes


Les mouches tubes sont montées sur un tube de laiton dont les bouts ont été fraisés. Cette opération est indispensable si l'on veut éviter que le tube de métal coupe l'avançon. On insère ce tube dans un tube de plastique qui retiendra hameçon. Un mini-tube thermorétractable est ensuite fixé pour protéger l'avançon à l'avant. Le laiton assure un certain poids. Même très longues, ces mouches sont moins lourdes que celles qui sont montées sur de gros hameçons doubles ou simples. Il est important que le tube de plastique arrière soit assez long afin qu'il puisse emprisonner assez d'air. Il est déconseillé d'utiliser des tubes d'aluminium qui ne sont pas assez résistants ou de plastique seulement car vous aurez alors des streamers qui flottent comme une sèche. On trouve de très bonnes illustrations de ces montages dans Modern Salmon Flies de Paul Marriner et dans Streamers and Bucktails de Joseph D. Bates. Il existe également deux styles de montage de ces mouches, le style européen où l'on retrouve 4 touffes de poils de 2 couleurs différentes autour du tube et le style nord-américain où l'on monte la mouche comme un streamer ordinaire. Il n'y a aucune différence entre ces deux styles de montage sur le plan de l'efficacité.

La technique de lancer


Depuis des générations, les pêcheurs de saumon ont appris à lancer la mouche à 45º et à la laisser dériver jusqu'à ce qu'elle s'arrête, avant de relancer. La pêche à la mouche tube exige une technique différente. Puisqu'il y a de l'air dans le tube de plastique et que ces mouches sont souvent montées avec une aile de marabout, la mouche tube s'enfonce beaucoup moins rapidement que les streamers ordinaires. Il faut donc souvent utiliser en début de saison une soie à tête plongeante. Les meilleures soies de ce genre sont celles dont la tête plongeante est la plus longue (30 pi) non pas parce qu'elles sont plus lourdes, mais parce que le poids est mieux réparti, ce qui permet une dérive parallèle au fond de la rivière. Ça plonge moins vite qu'une soie à tête plongeante de 10 à 15 pi mais ça pêche beaucoup mieux. Vous verrez également les pêcheurs utilisant ces mouches lancer à 90º ou encore vers l'amont de la rivière. Évitez de porter des jugements mal éclairés et observez bien leur technique. Selon Waddington, les saumons aiment souvent voir une imitation d'alevins se présenter à eux de profil. L'attaque se produit souvent lorsque le saumon verra ce profil d'alevin s'éloigner de lui vers la surface, car il ne faut pas oublier qu'il y a de l'air dans le tube et que la mouche remonte beaucoup plus vite qu'un streamer ordinaire.

N'ayez pas peur également de reprendre de la ligne par saccades. Certains saumoniers traitent de "pêcheurs de truite" ceux qui reprennent ainsi de la ligne. D'autres sont persuadés que ces pêcheurs tentent de "jiguer" un saumon. Pourtant, souvent il n'en est rien. Les mouches tubes ont une tenue beaucoup plus stable dans l'eau que les streamers ordinaires. Munies d'un hameçon à deux ou trois branches, elles permettent de bien piquer un saumon qui suit la mouche et qui l'attaque sans se retourner. Cette technique utilisée avec un streamer ordinaire donne bien des palpitations (tirettes) mais bien peu de résultats.

On peut enfin utiliser les mouches tubes pour pêcher à la sèche. La trottinette se monte très facilement sur un tube de plastique. Cette mouche que j'ai créée en 1992 est très efficace dès la deuxième semaine de juin. Montée sur un tube, elle flotte beaucoup mieux et le petit hameçon simple assure un ferrage plus efficace. Elle peut être pêchée comme une sèche ordinaire à l'aide d'un lancer parachute ou on peut la faire patiner sur l'eau, surtout en bout de fosse. C'est sans doute la mouche qui provoque les attaques les plus spectaculaires.

La controverse


Lorsque j'ai commencé à utiliser ces mouches régulièrement en 1992 dans les rivières de Gaspé, j'ai eu droit à une surveillance de tous les instants de la part des auxiliaires de la faune. Certaines mauvaises langues racontaient même que je pêchais avec des clous. Évidemment, ça changeait de la Black Bear traditionnelle lancée à 45º. J'ai persisté malgré tout parce que je considère que ces mouches sont infiniment supérieures aux mouches traditionnelles. Il est faux de penser que les pêcheurs qui utilisent ces mouches essaient de "jiguer". Si vous voulez voir des "jigueux", allez pêcher sur la Matane. Vous verrez que les spécialistes du coin utilisent plutôt de très petites mouches dans des fosses où il y a très peu de courant. Vous ne les verrez d'ailleurs pas en période de crue, au début de la saison.

Pour régler le cas de ceux qui considèrent ces mouches comme des bidules, qu'il me suffise de mentionner que les plus grands monteurs québécois ont monté des milliers de mouches tubes au cours des dernières années. D'ailleurs, le grand Charles Ritz n'a utilisé, au cours des trois dernières années de sa vie, que ce style de mouche pour la pêche au saumon. Croyez-vous vraiment que ce grand maître essayait de "jiguer" des saumons à l'aide de bidules? La mouche tube est la mouche la plus utilisée en Europe depuis 25 ans. On la retrouve aussi bien en Islande qu'en Écosse. Il était tout à fait normal qu'elle traverse un jour l'Atlantique. Une fois adaptée, elle demeure un engin de pêche exceptionnel de par sa polyvalence et son efficacité. Allumez vos lanternes confrères saumoniers et, au lieu de critiquer ceux qui tentent d'innover, essayez d'évoluer un peu. Vos résultats de pêche n'en seront que meilleurs.

Bonne Pêche,

Claude Bousquet, Longueuil, Qc